Secrets d’écriture : Call of Cthulhu

Peu de médias peuvent se targuer de proposer une expérience narrative et immersive aussi profonde que les jeux construits autour d’un scénario fort. En effet, les joueurs sont non seulement plongés dans une histoire élaborée, mais ils ont en plus la possibilité d’interagir avec. Ce genre de jeux peut offrir une toute nouvelle perspective sur le monde ou nous mettre dans la peau d’un super-héros. Les jeux narratifs nous permettent de devenir quelqu’un d’autre, ce qui explique sans doute pourquoi nous apprécions tant ces expériences. À présent, grâce à la puissance de la Xbox One X, les créateurs ont les moyens de nous immerger davantage dans leur vision. Dans notre rubrique « Secrets d’écriture », nous nous entretenons avec quelques-uns des plus grands créateurs de l’industrie pour parler du pouvoir de la narration dans les jeux vidéo, de leurs inspirations et de leur ressenti sur l’avenir du genre. Aujourd’hui, entretien avec le lead game designer de Call of Cthulhu Jean-Marc Gueney.

Avez-vous un secret pour écrire un scénario de campagne solo captivant ?

Je ne sais pas s’il y a un secret pour écrire de bonnes histoires, mais voici comment je m’y prends pour commencer un scénario. Tout d’abord, je définis l’intrigue principale, puis je la remplis de personnages. Ensuite, j’approfondis les motivations, la personnalité, les buts de ces personnages et comment ils sont liés entre eux dans l’histoire. Ça aide à combler les trous et à faire ressortir les incohérences, mais aussi à écrire les dialogues.

Pensez-vous que les jeux solos permettent une meilleure immersion que les jeux multijoueurs ?

En jouant avec un groupe de personnes, il y peut y avoir des interactions qui cassent l’immersion. Bien sûr, les expériences multijoueurs peuvent être aussi riches qu’en solo, mais elles sont en général moins immersives que ce que recherchent la plupart des développeurs. Dans les jeux solo, tout est fait pour que le joueur se mette à la place du personnage qu’il contrôle, de la voix aux actions en passant par le scénario et le rythme.

Comment équilibrez-vous le gameplay et les objectifs narratifs ?

Nous utilisons la narration pour conduire à des situations qui demandent plus de gameplay. Et durant ces phases de gameplay, la progression de l’histoire ralentit. Pour trouver le bon rythme, nous mélangeons les séquences principalement narratives et celles plus orientées gameplay. Pendant la narration, le gameplay est là pour apporter des informations, des indices ou des options de dialogue. C’est la récompense du gameplay.

Les éléments tels que les missions à embranchements ou les fins multiples ont-ils transformé le développement des jeux solo ?

Offrir plusieurs possibilités aux joueurs permet d’améliorer l’expérience de jeu, mais rend le développement plus compliqué. Il faut réfléchir à tous les embranchements et aux conséquences, ce qui veut dire créer autant de pistes que possible que le joueur peut explorer. C’est un processus de développement et d’écriture méticuleux.

Y a-t-il des genres où l’histoire n’est pas importante, ou au contraire, d’autres qui se prêtent plus au déroulement d’une histoire ?

Tous les jeux peuvent bénéficier d’un peu d’histoire ou de contexte, mais pour ceux où le gameplay met l’accent sur les réflexes, la dextérité ou la rapidité de réflexion, ce n’est pas aussi important que pour les jeux vraiment narratifs. Des jeux comme Tetris se passent d’histoire, de même que des titres comme Stick Fight ou Bomberman. Ça peut être amusant d’avoir un peu de contexte comique pour situer l’ambiance, mais ce n’est pas obligatoire pour ces jeux. Bien sûr, vous pouvez aussi profiter de jeux comme FIFA ou Civilization sans scénario.

Quels sont les avantages d’une console ou d’un PC plus puissant en termes de scénario solo ?

Il y a plusieurs points sur lesquels un jeu vidéo peut bénéficier d’une puissance de calcul accrue. Nous avons tous observé les progrès graphiques sur les environnements et les personnages qui les rendent plus réalistes et donc plus crédibles. Les animations, particulièrement des visages, sont presque parfaites dans les AAA. Certains éléments peuvent faire sortir du jeu, mais on peut aujourd’hui les contourner facilement, comme des écrans de chargement fréquents ou des chutes de framerate.

Certaines expériences solo dans votre vie de joueur vous ont-elles inspiré ou particulièrement marqué ?

Bien que ça ne date pas tout à fait d’hier, les possibilités offertes par des jeux comme Neverwinter ou Oblivion m’ont inspirée à créer des histoires. Au début, elles étaient plutôt simples et destinées à être partagées avec quelques amis. C’est un peu comme l’envie de partager une histoire sur un jeu de rôle papier. Même si un jeu est orienté solo, le processus de création est le même : quelle est l’histoire et que pourra faire le joueur à l’intérieur de celle-ci.

Y a-t-il un niveau ou un passage d���un jeu solo qui vous semble proche de la perfection en matière de narration ?

J’ai été très impressionné par l’introduction de Bioshock infinite. Dès le début, il y a tellement de questions qui sont soulevées. Et pendant 15 minutes, avec un gameplay et des interactions réduits au minimum, les scènes vous happent et ne vous lâchent plus. Vous plongez dans cet univers et vous voulez en savoir plus. Dans Far Cry 3, les scènes avec Vaas sont également très immersives, grâce au jeu d’acteur. Until Dawn est un chef-d’œuvre en termes de narration.

Comment les jeux solos et/ou narratifs ont-ils évolué ces dix dernières années ?

Capturer l’essence des acteurs est l’un des nombreux défis dans les jeux d’aujourd’hui. Grâce à la motion capture, pour le corps et le visage, les résultats sont aussi bons que dans les films. Les doublages bénéficient aussi d’un traitement soigné, du casting jusqu’à l’enregistrement. Il y a plus de dix ans, les jeux narratifs étaient le plus souvent textuels. Les progrès technologiques ont aussi permis d’écrire des scénarios et des personnages plus riches. Les personnages sont mieux définis afin de déterminer leurs réactions, leur comportement et leur mode d’expression.

Comment vous voyez leur évolution dans les dix prochaines années ?

L’utilisation de la VR a le potentiel pour faire un grand pas en avant. Jouer à des jeux comme Resident Evil 5 en VR n’a rien à voir avec la version « classique » du jeu. Il se pourrait aussi que la reconnaissance vocale soit drastiquement améliorée. Si vous parlez à un PNJ en choisissant parmi plusieurs réponses, mais que vous lui parlez vraiment, avec votre voix, ce pourrait être fantastique. Peut-être pas dans les dix prochaines années, cela dit. L’excellent Event[0] essaye de simuler les interactions avec une IA : le joueur est libre de poser toutes les questions qu’il veut. En ajoutant un plug-in de reconnaissance vocale, vous avez un aperçu de ce que pourrait être l’avenir des jeux narratifs solo.