Le jeu du tiroir : Fable

C’était en 2004. La série Friends voyait son tout dernier épisode diffusé sur les télés américaines, Ray Charles poussait son dernier souffle et l’étudiant Mark Zuckerberg lançait, à destination des étudiants de l’université Harvard, un petit réseau social baptisé Facebook. Dans la mêlée, Big Blue Box, tout nouveau studio satellite de Lionhead Studios (créateur, en 2001, du god game Black and White), sortait après quatre ans de labeur un RPG nommé Fable. La rumeur disait que ce dernier, qui avait mobilisé 70 développeurs, ambitionnait de révolutionner le jeu de rôle. Plutôt qu’aux sempiternels Donjons & Dragons ou ouvrages de Tolkien, son univers empruntait aux contes européens, tels ceux des frères Grimm. Surtout, le titre proposait à chaque joueur une expérience unique, en lui offrant une liberté totale et faisant en sorte que ses choix, au cours de l’aventure, influent sur les caractéristiques morales, et même physiques, de son personnage. Ajoutez à cela une dose d’humour absurde, une atmosphère toute personnelle et des graphismes superbes pour l’époque, vous obtenez un RPG unique, bien différent des standards japonais. « Je ne suis même pas sûr qu’on puisse dire que Fable est un RPG », déclarera plus tard Peter Molyneux, fondateur de Lionhead Studios. « Du moins, ça n’est certainement pas un RPG des années 90. On pourrait le caractériser comme un jeu d’action-aventure. Il y a beaucoup de drames, d’histoires, d’émotions… »

Quelques temps après son lancement, Fable engrangera plus d’une cinquantaine de récompenses et deviendra le jeu Xbox le plus rapidement vendu. Difficile d’imaginer, au vu de ce succès, que les développeurs peinèrent au départ à trouver un éditeur ! Ce dernier ne sera autre que Microsoft qui, entrevoyant le potentiel du titre, décidera de le dédier, en exclusivité, à la Xbox originelle. Le support de jeu idéal pour dérouler un gigantesque monde ouvert, nommé Albion, à la profondeur et à la richesse inouïes. Au sein de ce dernier, le héros incarné par le joueur gambadera à travers plusieurs villes (Oakvale, sa petite bourgade d’origine, par exemple, ou Bowerstone, la capitale), ira à la rencontre d’une multitude de personnages, combattra une flopée d’ennemis, utilisera une variété incroyable d’armes et sorts, participera à des quêtes annexes qui prendront parfois la forme de mini-jeux… Avec un but, venger sa famille, dont une partie fut trucidée par des brigands, tandis que sa mère et sa sœur se virent capturées. Au long de la quête, le personnage évoluera, portant les cicatrices héritées de ses combats, affichant un certain embonpoint en cas de gros gueuletons, voyant apparaître des cheveux blancs au fur et à mesure qu’il avance dans l’âge. Car c’était bien là l’attrait principal du soft : le joueur faisait évoluer le protagoniste principal, depuis sa tendre enfance jusqu’à la vieillesse.

Les choix qu’il effectuait au cours de l’aventure façonnaient la personnalité du héros. S’il décidait de faire le bien en venant en aide aux villageois, par exemple, ce dernier inclinait vers la figure angélique, suscitant le respect de ses congénères et se révélant même séducteur. S’il optait pour le côté obscur en tuant, pillant ou terrorisant, le même individu adoptait peu à peu l’apparence d’un démon à cornes et yeux rougeoyants, suscitant la crainte sur son passage. Pas étonnant de constater, dès lors, que les fans reprirent plusieurs fois le jeu depuis le début, histoire de modeler différents personnages. Une entreprise facilitée par le fait que l’épopée ne connaissait pas la routine et les chemins pré-tracés : la liberté d’action était vraiment totale et offrait notamment de choisir sa tenue, jouer aux cartes, se faire tatouer, crocheter des serrures, dérober des objets, pêcher, acheter des maisons, sacrifier des innocents pour gagner la sympathie de satanistes, tyranniser des poules… Il était même possible de se marier ! Avec, au passage, une liberté rare dans les jeux vidéo de l’époque, puisque le héros pouvait choisir une personne du même sexe.

Autre aspect déterminant dans le succès du titre, l’énorme travail réalisé sur la bande son, composée par l’excellent Russel Shaw (Syndicate, Magic Carpet, Dungeon Keeper…). Le thème principal, quant à lui, est l’œuvre de Danny Elfman, à l’origine de célèbres génériques tels ceux des Simpson ou de Desperate Housewives, mais également de la plupart des musiques de films de Tim Burton, et nominé quatre fois aux Oscars. Il fera carrément appel, pour le jeu, à un petit orchestre symphonique, avant de collaborer à Fable II. Une suite mise sur orbite en 2008, au vu du succès rencontré par le premier opus, qui sera elle-même suivie par Fable III, en 2010. Les créateurs délivreront par ailleurs en 2005 une excellente extension baptisée Fable : The Lost Chapters, et divers spin-off, tels le beat them all Fable Heroes ou le rail shooter Fable : The Journey, tous deux sortis en 2012. Dernier coup d’éclat en date, Fable Anniversary (2014), qui constitue le remake HD 1080p du tout premier Fable, et offre de découvrir ou redécouvrir l’esprit originel du jeu.