Le jeu du tiroir : Alan Wake

Il y a 10 ans, le studio Remedy Entertainment n’avait pas encore précisément l’aura qu’il possède aujourd’hui. Les folies temporelles et métaphysiques de Quantum Break et de Control restaient à venir, mais les aventures d’un flic new-yorkais vécues par les joueuses et les joueurs dans deux Max Payne confirmaient déjà une chose : les développeurs suédois savaient penser les phases d’action avec la même grâce que la narration de leurs titres. Surprenant donc de se retrouver face à un Alan Wake en 2010 qui nous met dans la peau… d’un écrivain. Le titre étant depuis peu disponible dans le Xbox Game Pass, s’y replonger tombe comme une évidence.

Vous vous en doutez, si vous incarnez un écrivain, il ne s’agira pas pour autant d’appeler des maisons d’édition pour négocier le nombre de pages de votre prochaine œuvre ou de faire le pied de grue dans des séances de dédicaces où les fans viennent à manquer… Bien que le début de l’aventure semble dépeindre le quotidien somme toute banal d’un auteur souhaitant simplement prendre des vacances avec sa femme pour se ressourcer, les choses prendront bien sûr rapidement un tournant plus que sombre et vous ne tarderez pas à basculer dans l’étrange.

Série de cauchemars pour cauchemars en série

Lorsque Alice, la femme d’Alan, est mystérieusement enlevée par une entité surnaturelle dont on ignore tout, la petite bourgade de Bright Falls perd de son caractère bucolique pour sombrer dans un univers qui ne dépareillerait pas dans un épisode de X-Files, Twin Peaks ou de La Quatrième Dimension.

Cette dernière est d’ailleurs presque citée dans le jeu tant la série fictive « Night Springs », diffusée çà et là sur les divers écrans que vous croiserez lors de votre périple, s’en inspire. Un hommage affiché, assumé jusque dans la forme de la narration du titre, découpée en plusieurs épisodes n’hésitant pas par exemple à avoir recours aux résumés des précédents.

Et la lumière fuse

Pour lever le voile sur la mystérieuse disparition de sa femme, Alan va devoir jouer de la lampe torche dans des environnements nocturnes rarement accueillants, épaulé par un gameplay qui pourrait s’apparenter à du survival horror, bien qu’il lorgne largement du côté de l’action.

Car ladite lampe torche est un outil crucial, qui ne vous servira pas uniquement à éviter de trébucher sur une brindille dans les bois. Les ombres maléfiques qui vous poursuivent doivent en effet d’abord être « matérialisées dans le réel » grâce à la lumière. La boucle typique d’une phase d’action se définit alors ainsi : éclairer l’ennemi, le révéler pour le rendre vulnérable, pour enfin avoir recours à des méthodes plus traditionnelles pour en venir à bout. Une mécanique simple sur le papier mais qui s’avère nettement plus délicate dès lors que les menaces autour de vous se multiplient…

L’aspect survie s’exprime via la relative rareté des ressources à votre disposition mais également à travers la vulnérabilité de notre héros, qui n’encaissera pas plus de quelques coups avant de s’effondrer. Enfin, même si quelques alliés vous aideront de temps à autres dans votre quête, la solitude de l’auteur participe grandement au sentiment de terreur omniprésent. Une solitude qui s’avère avant tout intérieure.

Un thriller qui expire l’inspiration

Le postulat de base du titre, le métier même du personnage éponyme est bien évidemment loin d’être anecdotique. Son histoire sur le monde intérieur que l’on se crée, sur la fiction prenant le pas sur le réel, gagne à être vécue et contée par un homme dont c’est le métier. Sans trop en dire sur l’intrigue d’Alan Wake, difficile de véritablement définir ce qui en fait l’une des plus grandes forces.

À la liste des multiples références culturelles évoquées plus haut peuvent aisément être ajoutés des auteurs comme Stephen King, des réalisateurs comme Alfred Hitchcock. Et le propos de l’œuvre va bien au-delà de la simple citation, des joyeuses références à la pop-culture pour afficher un sourire sur le visage de celles et ceux qui sauront percevoir ces clins d’œil parfois évidents.

Parce qu’en réalité, Alan Wake, le jeu, est aussi Alan Wake, le personnage. Un auteur qui, comme ses pairs, se voit contraint de naviguer dans un monde qui baigne dans l’auto-référence, qui se doit de continuer à créer alors que tout semble avoir été fait, vu, ou lu.

Au-delà de son action, au-delà même de sa propre narration, Alan Wake nous livre finalement un discours sur le média, sur les médias et les affres de la création. Un regard auto-critique aussi rare que désabusé, qui, 10 ans après sa sortie, continue à faire d’Alan Wake une œuvre sans pareil.