Les femmes du jeu vidéo : Macha Lopez, Narrative Designer chez DONTNOD Entertainment

Nous poursuivons notre série de portraits dédiée aux actrices du jeu vidéo français avec celui de Macha Lopez, Narrative Designer chez DONTNOD Entertainment. Elle avait déjà pris part à notre table ronde sur les LGBT+ dans le jeu vidéo à la Paris Games Week 2019. Par ailleurs, le studio parisien travaille actuellement sur Tell Me Why, un jeu d’aventure narratif dont le premier épisode sera disponible le 27 août, dans le Xbox Game Pass.

Quels rapports avez-vous entretenu avec le jeu vidéo plus jeune ? Ceux-ci ont-ils évolué aujourd’hui ?

Quand j’étais enfant, puis adolescente, je jouais déjà pas mal, même si je ne dirais pas que j’étais une gameuse hardcore. Puis j’ai totalement arrêté lorsque j’ai commencé mes études et mes loisirs ont basculé vers des médias plus passifs comme le cinéma ou les séries. J’y suis ensuite revenue quand j’ai envisagé l’idée de pouvoir travailler dans ce milieu. Aujourd’hui, en tant que joueuse, je suis plus portée vers les jeux indés, leur accessibilité et leur capacité à innover et à véhiculer des messages me séduisent. Mais en tant que créatrice, je reste admirative des AAA, comme Red Dead Redemption II par exemple, qui demeurent des exemples.

L’idée de travailler dans ce milieu que vous évoquez est venue comment ?

J’ai eu un parcours un peu atypique. J’ai fait des études en Sciences Sociales dans le but de devenir journaliste, puis j’ai travaillé dans la production audiovisuelle en tant qu’assistante de production mais aussi assistante de développement d’écriture dans le cinéma indépendant et en télévision. C’est ce qui m’a permis de découvrir les rouages de la création d’une œuvre culturelle, mais aussi les acteurs, les financements, l’économie de ces milieux. J’ai également ainsi pu renouer avec l’écriture, que j’avais mise de côté pendant mes études. Pour ma première expérience dans le jeu vidéo, j’étais Associate Producer, et si je n’ai pas continué dans cette voie précise, j’ai su que l’industrie du jeu vidéo m’attirait. J’ai découvert une industrie jeune, dynamique, où la technique évolue sans cesse et où le travail collectif est omniprésent. J’ai ensuite eu quelques contrats en freelance, puis j’ai trouvé ce travail chez DONTNOD.

Ce parcours atypique a-t-il nui à vos ambitions dans le milieu ?

Comme beaucoup de femmes dans le milieu, j’ai d’abord ressenti une sorte de syndrome de l’imposteur, j’avais peur de ne rien pouvoir apporter de nouveau. Mais j’ai vite réalisé que mes expériences professionnelles précédentes avaient participé à me construire. Je pensais que venir d’un autre milieu serait une faiblesse, en réalité c’était une force. Pour moi, le jeu vidéo reste un milieu dans lequel on accepte des profils un peu atypiques, aux backgrounds divers et variés et c’est vraiment une richesse, je pense. Si l’on se contente de recruter en fonction des diplômes, si tout le monde vient de la même école, a les mêmes façons de faire et les mêmes idées, il sera difficile de diversifier les productions.

À l’échelle de l’industrie, peut-on déjà retrouver cette diversité ?

Dans toutes les industries créatives, depuis quelques années, on tend à plus de représentation. Dans le jeu vidéo aussi, mais si les femmes sont bien présentes dans les départements artistiques, dans le marketing ou les relations humaines par exemple, on en trouve toujours très très peu en développement ou en programmation. Et beaucoup de choses se passent en réalité dans le code. J’ai déjà entendu des développeurs expliquer que leur personnage principal serait masculin parce que plus facile à concevoir visuellement. Si l’on ne se permet pas de prendre le temps d’inclure plus de diversité, on finit par faire tout le temps la même chose, dans un souci d’économie ou de confort. Je peux dire la même chose en ce qui concerne l’écriture : en multipliant les voix, on ne pourra que s’éloigner des archétypes. Nous avons besoin de cette diversité, et je parle des femmes comme des autres populations marginalisées, à des postes comme producteur exécutif, Game Director ou en programmation, pour veiller à ce que le jeu vidéo représente.

Aujourd’hui, dans le jeu vidéo, constatez-vous un progrès dans ces représentations ?

On a tout de même plus de personnages féminins qui endossent des rôles principaux, plus de diversité en termes de profils, mais on retrouve aussi de vieux archétypes. Les personnages masculins proches de la quarantaine, forts mais tiraillés, côtoient toujours des femmes jeunes, très belles, aux corps normés. Pour moi, si on a progressé, ce n’est que le début. L’un des soucis, c’est que dès que l’on propose des représentations différentes de ce à quoi le public est habitué, la frange la plus masculiniste de ce dernier s’offusque, fait descendre les notes des œuvres en question, on a pu le constater pour la dernière trilogie Star Wars au cinéma par exemple. Évidemment, beaucoup de développeurs ne sont pas prêts à assumer ce risque là. Nous l’avons vécu à l’époque de Life is Strange 2 : certaines personnes trouvaient le jeu trop politique parce que l’un des thèmes abordés est le racisme. Avec le mouvement Black Lives Matter, j’ai l’impression en regardant les réseaux sociaux que le jeu semble avoir connu un regain d’intérêt. Certaines personnes se sont peut-être rendu compte que ce qu’ils pensaient être de la politique, c’était possiblement la vie quotidienne de pas mal de gens.

Le jeu indépendant favorise-t-il ce genre de discours, facilite-t-il le fait d’aborder certaines thématiques ?

Bien sûr, depuis longtemps, ce sont des jeux qui apportent nouveauté, fraîcheur et qui peuvent se permettre d’aller sur des terrains jugés difficiles. Mais je ne pense pas qu’il puisse avoir le pouvoir de changer drastiquement les mentalités parce qu’il s’adresse toujours au même public. En revanche, il est tout à fait possible qu’il serve d’émulation pour l’ensemble du medium.

Quels conseils donneriez-vous à celles qui souhaiteraient travailler dans le milieu ?

De façon générale, il ne faut pas hésiter à postuler, à envoyer des candidatures, même si l’on n’est pas certaine de correspondre à l’offre. On ne perd rien à essayer, on nous met déjà trop de bâtons dans les roues, il vaut mieux éviter de s’en mettre à soi-même. D’autre part, mon expérience personnelle prouve qu’il peut être bon de venir d’autres horizons pour apporter sa différence, sa culture. Il faut se demander ce qui fait notre singularité.