Le jeu du tiroir : Life is Strange

Début 2015, on connaissait uniquement le studio DONTNOD par le biais de Remember Me, une œuvre ambitieuse et regorgeant d’idées alors novatrices. Il n’a pas fallu attendre longtemps pour découvrir Life is Strange, le jeu qui allait définitivement installer les développeurs parisiens sous les projecteurs, puisque le premier épisode de celui-ci sortit dès la fin du mois de janvier de cette même année. À la veille de la sortie du premier chapitre de Tell Me Why, leur nouvelle création se déployant sur trois épisodes et disponible intégralement dans le Xbox Game Pass, il est bon de se rappeler de la pierre fondatrice d’un sous-genre auquel on ne saurait véritablement attacher de nom.

Bienvenue à Arcadia Bay

Vous incarnez Max, une étudiante apparemment ordinaire, dans une université d’Arcadia Bay qui semble l’être tout autant. Les premières minutes de Life is Strange peuvent paraître banales, elles décrivent une vie que tout un chacun peut connaître, un quotidien fait de cours et de rêveries, à l’époque jamais facile de l’adolescence. Pourtant, dès ces instants fondateurs, l’ambiance du titre séduit. Ses choix artistiques radicaux, ses couleurs singulières, ses dessins jouant le rôle d’interface à l’écran transportent.

Souvent, on nous invite à la contemplation, à s’allonger par exemple pour écouter de la musique, à prendre le temps. La rupture de rythme est osée, mais elle remplit son rôle : nous voilà bel et bien dans la peau de Max, déjà plus qu’empathiques, alors que l’histoire n’a pas véritablement commencé. Cette histoire, c’est avant tout une chronique de la construction de soi, vis à vis de soi-même mais aussi des autres, ces éternels inconnus. On apprend vite à les aimer, tout de même, grâce à une écriture exemplaire, qui donne vie aux personnages du titre, fussent-ils secondaires. C’est en leur compagnie que l’adolescente, par le biais de nos choix, va exister. Car nos décisions seront capitales : celui ou celle qui tient la manette va définir Max, alors qu’elle cherche à se définir elle-même.

La vie est étrange

Le titre du jeu se rapporte d’abord à la période initiatique de la vie qui y est décrite, mais très vite, l’étrangeté prend également une dimension fantastique inattendue, lorsque Max découvre son pouvoir. Celle-ci peut en effet manipuler le temps, ou tout du moins revenir en arrière pour en altérer le cours. Une solution en apparence universelle : au moindre faux pas, tout est réparable… Bien sûr, on ne tardera pas à comprendre que les conséquences de ce type d’opération peuvent être bien plus funestes que l’on ne l’imagine de prime abord.

Ce constat sera partagé entre Max et le joueur ou la joueuse qui la contrôle, car en termes de gameplay, on pourrait tout aussi bien penser que nos choix importent peu, puisqu’il sera toujours possible de revenir dessus. Et puis vient notre premier choix cornélien, et la voix de Max nous suggère que les choses auraient pu être différentes, on revient en arrière, on choisit l’autre option, pour finalement se rendre compte qu’il sera tout aussi difficile d’en mesurer les conséquences sur le long terme.

Le joueur ou la joueuse découvre que Max peut remonter le temps comme on rembobine un film. Ce pouvoir donne la possibilité au joueur ou à la joueuse de revenir en arrière et de prendre des décisions différentes.

Au fil de l’aventure, le sentiment de créer le chaos en souhaitant stopper l’inévitable ne fait que croître au gré des dilemmes auxquels Max se retrouve confrontée. Elle semble devenir spectatrice des conséquences de ses actions alors que ce sont nos actions qui assurent définitivement le spectacle. La relation que chacun et chacune aura entretenu avec Max restera unique une fois le générique de fin atteint et continuera à nous suivre, des années plus tard.

L’émotion en héritage

Et c’est avant tout ce qui fait la force de Life is Strange, mais aussi de sa suite qui n’en est pas réellement une. Life is Strange 2 nous raconte une autre histoire, celle des frères Diaz, oublie la notion de torsion du temps et reste pourtant tout à fait identifiable comme un prolongement du premier. Sans doute grâce à une myriade de qualités communes comme l’écriture, la mise en scène, la bande-son, mais aussi grâce à la manière dont toutes ces choses s’articulent pour donner vie à un univers, à des personnages et à une aventure humaine.

C’est cette humanité qui ressort avant tout des productions DONTNOD, celle qui permet aux joueuses et aux joueurs de pleinement s’investir dans les aléas que rencontrent les protagonistes de ces titres en apparence très différents. Loin d’être de simples films interactifs, il émane de ces œuvres une empathie qui se retrouve sublimée par ladite interactivité, qui nous rappelle en quoi le jeu vidéo peut véhiculer des émotions certes proches du septième art, mais transcendées par ce qui fait sa singularité.

5 ans après les aventures de Max, nous nous apprêtons aujourd’hui à découvrir celles d’Alyson et Tyler dans Tell Me Why, disponible dès son lancement dans le Xbox Game Pass, et il y a fort à parier que vous y retrouverez les qualités énoncées ci-dessus. Au fil des années, DONTNOD a su imposer sa patte artistique, redéfinir un genre sur lequel il reste difficile d’apposer des mots, parce que l’émotion y joue un rôle prépondérant. Et finalement, n’est-il pas absurde de vouloir attacher une catégorie à une œuvre ? Si celles de DONTNOD s’apparentent à des jeux, elles sont avant tout un incroyable vecteur de souvenirs. Oui, la vie est parfois étrange, mais lorsque c’est le studio Parisien qui s’en fait le conteur, on ne peut que souhaiter se plonger dans sa bizarrerie.