Les portraits du jeu vidéo : Game and Rules : Magali et Déborah se liguent pour un cadre juridique dans l’esport

L’essor de l’esport est incontestable, cependant, il semble que ce milieu particulier ait encore besoin de se structurer pour progresser, notamment au niveau juridique. C’est le constat de Game and Rules, une société co-fondée par Magali Dorado et Déborah Aflalo pour accompagner les acteurs de l’esport et les aider à évoluer dans ce monde encore en construction. Nous avons pu échanger avec Déborah Aflalo pour évoquer les circonstances qui ont vu naître Game and Rules, l’état du droit dans l’esport et l’avenir qui l’attend.

Comment est née la décision de fonder Game and Rules ?

J’ai un enfant qui joue énormément, depuis plusieurs années. Quand j’ai compris que c’était une véritable passion, j’ai cherché à connaître l’écosystème, les pratiques, les jeux mais aussi les coulisses. Avec mon regard de juriste, j’ai vite constaté que le droit, dans l’esport, était encore jeune et j’ai eu envie d’aider à créer un certain encadrement de la pratique du jeu vidéo. Mon associée, Magali Dorado, a des enfants dans la même école que le mien et ils jouent également. Quand je lui ai parlé de mon projet de structurer, à notre échelle, cet écosystème de l’esport au travers du juridique, elle a tout de suite été emballée. La motivation première a été de se dire : quand nos enfants seront plus grands, peut-être voudront-ils intégrer le milieu de l’esport. À ce moment-là, qu’est-ce qui se passera pour eux ? Le milieu sera-t-il sûr, en mesure de proposer des garanties ?

Quels étaient les premiers objectifs de votre société ?

Au début, nous souhaitions d’abord aider l’esport amateur et nous avons décidé de créer un blog. Il fallait faire une étude de marché, vérifier que ce que l’on pensait était fondé, nous avons donc contacté énormément d’acteurs de l’esport, comme des présidents d’association, des joueuses et des joueurs, des coachs, des streamers… Au fil de ces conversations, nous avons constaté qu’il y avait de réels besoins dans ce secteur, que tout le monde n’avait pas de conscience juridique et même quand c’était le cas, on retrouvait souvent un problème de budget. Dans l’absolu, on a compris que c’était un milieu qui n’avait pas forcément le réflexe d’appeler des avocats, par peur d’être incompris ou à cause de la barrière financière. Nous nous sommes donc positionnées comme un palier intermédiaire. Nous ne sommes pas avocates, mais nous pouvons incarner un relais juridique pour les acteurs de l’esport qui en auraient besoin.

Comment les acteurs du monde de l’esport que vous avez rencontrés ont vu cette incursion du droit dans leur milieu ?

Le problème peut être celui de la légitimité, car beaucoup de personnes peuvent arriver dans le monde de l’esport pour de mauvaises raisons. Forcément, la méfiance peut être de mise lors des premiers échanges. Mais nous étions curieuses, passionnées et via nos enfants, nous avions des notions. Nous avons pu les rassurer, prendre le temps, nous rendre disponible et je pense qu’ils ont compris que nous nous intéressions vraiment à eux, que nous n’étions pas là pour l’argent par exemple…

Quelles sont les problématiques inhérentes au droit auxquelles vous faites face ?

J’ai toujours eu à cœur de simplifier et de clarifier le droit, de le rendre accessible, de montrer aux gens qu’il pouvait être à leur portée, concret et non pas réservé à une élite. Le juridique n’est pas le dernier maillon de la chaîne, il doit faire partie de la stratégie, notamment de la conception d’une structure ou d’un évènement. Les questions sont nombreuses : quel type de structure souhaite-t-on créer, quelles seront les modalités pour les contrats des joueurs ou des joueuses, quels seront leurs statuts… Si l’on parle des streamers, ce sont encore d’autres problématiques qui surgissent. Nous proposons donc de faire un état des lieux, sans entrer dans le domaine du conseil juridique à proprement parler, puisque c’est une prestation que seuls les avocats peuvent fournir en France. Nous présentons les options juridiques applicables et si nos interlocuteurs hésitent à faire seuls leurs choix, ils peuvent très bien ensuite passer par un avocat, avec lequel nous pouvons d’ailleurs les mettre en relation.

Comment l’esport est-il perçu dans les sphères politiques ? La question d’un droit de l’esport y est-elle étudiée ?

Il semble que la vision de l’Etat ait changé. L’esport n’est plus une petite niche à ses yeux. Les pouvoirs publics ont compris la nécessité de légiférer, voire peut-être d’adapter la législation en s’inspirant de ce qui existe dans le droit sportif. Car le droit du sport fonctionne, mais le jeu vidéo a une spécificité, c’est qu’il n’existe pas de fédérations. Les droits de chaque jeu appartiennent à leur éditeur respectif, on ne peut donc pas imaginer de fédérations pour l’instant. C’est pourtant une fédération qui pourrait devenir un interlocuteur fort pour échanger avec les instances de l’État et créer un Code de l’Esport ou quelque chose du même ressort. Je suis plutôt optimiste, l’État prend conscience de l’importance de l’esport et voit aussi ses avantages et non plus seulement les problèmes pouvant exister autour de ce milieu. L’esport peut être vecteur de lien social et de réinsertion professionnelle, mobilise des compétences douces, les bénéfices sont bien présents. Je pense donc que les choses commencent à changer.

Merci à Déborah Aflalo d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Pour découvrir leur travail, cliquez sur Gameandrules.com.