Les Français à l’étranger : entretien exclusif avec Samy Duc, Directeur Technique chez Respawn Entertainment

Dans cette nouvelle série d’articles exclusifs à découvrir sur le Xbox Wire en français, nous partons à la rencontre de ces Français·e·s ayant décidé de travailler dans l’industrie du jeu vidéo, et dont les parcours les ont menés à l’étranger. Samy Duc, Directeur Technique d’Apex Legends chez Respawn Entertainment à Los Angeles, a accepté de se prêter à l’exercice du portrait. Il nous parle de sa passion pour le jeu vidéo bien sûr, mais aussi de son parcours professionnel, de son quotidien et des différences culturelles entre l’Amérique du Nord et la France.


En quoi consiste votre travail chez Respawn Entertainment ?

Je suis Directeur Technique sur Apex Legends, ça veut dire que ma tâche est de faire en sorte que tout fonctionne. Je suis responsable de la technique du matchmaking, des serveurs, de l’anti-cheat et de ce que l’on appelle le netcode. Dans le cas d’un FPS, si vous tirez sur quelqu’un, il peut être à l’autre bout du monde, il faut que vous puissiez atteindre votre cible.

Quelle est votre histoire avec le jeu vidéo ?

J’ai découvert le jeu vidéo via mes grands-parents et mon oncle, qui vivaient encore chez eux. Il avait une Amiga 500 et aller chez les grands-parents, c’était toujours la bonne excuse pour pouvoir jouer. On faisait des parties de Nord et Sud, Cannon Fodder, Speedball 2… C’est grâce à ce même oncle que j’ai fait mes premières LANs aussi : on jouait à Quake II, à Total Annihilation, à Counter-Strike et aux mods de Half-Life en général. On les essayait tous : voir que des gens comme nous pouvaient créer des choses, c’était extraordinaire, c’est aussi ce qui a suscité de l’intérêt chez moi, je me suis dit que moi aussi j’adorerais créer quelque chose.

Quel a été votre parcours scolaire ?

J’ai fait une école d’électronique, plutôt orientée réseau. Et le réseau, c’est vraiment ma passion : réussir à connecter des choses, coder pour faire en sorte que tout marche. À la fin de mes études, je suis allé à Montréal pour me spécialiser dans la téléphonie mobile, puis, pour mon premier travail, j’ai rejoint une start-up à Marseille qui travaillait sur les appels longue distance, donc il fallait comprendre comment la technologie des réseaux mobiles fonctionnait. J’avais aussi envie de faire du développement, de coder, et le cadre de la start-up est parfait parce que tout le monde peut toucher à tout.

Comment avez-vous rejoint l’industrie du jeu vidéo ?

Dans cette même start-up, j’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un qui avait travaillé à Infogrames, à Lyon, et qui avait des contacts dans toute l’industrie. Quand la start-up s’est fait racheter par un grand groupe, je me suis dit qu’il était temps de changer d’air. Cette même personne m’a dit qu’elle connaissait des gens à Ubisoft Annecy qui cherchaient des employés qualifiés en termes de réseaux. J’ai passé les entretiens et ça s’est fait.

Quand avez-vous envisagé de partir travailler à l’étranger ?

J’ai travaillé à Ubisoft Annecy pendant environ deux ans et demi, principalement sur Assassin’s Creed, puis je me suis fait débaucher. L’industrie du jeu vidéo fonctionne un peu au pedigree, la valeur d’un C.V. se calcule un peu à la hauteur des jeux sur lesquels on a travaillé. En ayant œuvré uniquement sur des AAA, j’avais pas mal de visibilité je pense. Les chasseurs de têtes de Microsoft m’avaient donc repéré, c’était pour travailler sur Gears of War, ils m’ont fait venir à Vancouver et j’ai pu aller passer les entretiens.

La décision d’émigrer a-t-elle été difficile à prendre ?

J’avais énormément de réticences, notamment vis à vis de ma famille et de ma copine de l’époque, c’était très compliqué. J’ai quand même saisi ma chance parce que je savais que le Canada, c’était la porte d’entrée pour accéder à toute l’industrie de l’Amérique du Nord. Pour ma carrière, il fallait que je le fasse et je pense que si je ne l’avais pas fait, je l’aurais regretté toute ma vie.

Comment avez-vous réussi à vous intégrer dans ce nouvel environnement de travail ? Les différences culturelles vous ont-elles surpris ?

J’ai notamment été surpris par des détails amusants. Par exemple, en Amérique du Nord, on ne serre la main à quelqu’un qu’une seule fois, lors d’une première rencontre, et pas tous les matins… Quand je suis arrivé chez Microsoft et que j’ai commencé à serrer la main de tout le monde le lendemain de mon premier jour, on m’a pris pour un fou ! Tous les codes culturels et sociaux changent, c’est troublant. On a l’habitude de voir les Américains comme des personnes évitant le conflit… et c’est vrai ! Mais quand il faut faire des retours à son équipe, critiquer de manière constructive tout en évitant le conflit, c’est très difficile. Il faut tout réapprendre et on a envie de donner une bonne impression, c’est d’autant plus vrai dans les grosses entreprises.

L’émigration du Canada vers les États-Unis a-t-elle été plus facile ?

J’ai travaillé à Vancouver, aujourd’hui je travaille à Los Angeles et la philosophie de travail est très différente. En réalité, c’est moins une question de pays que de villes. Des micro-cultures technologiques s’installent dans chaque ville et ça se ressent dans notre façon de travailler, de coder, d’utiliser l’arborescence des technologies. D’un point de vue personnel comme professionnel, c’est très intéressant parce que c’est un apprentissage permanent. C’est d’ailleurs la principale raison pour laquelle j’ai quitté Vancouver pour rejoindre Los Angeles : je savais que j’allais connaître un choc à la fois culturel et technologique et que ça allait me rendre encore meilleur.

Est-ce que le fait de travailler en France vous manque aujourd’hui ?

Honnêtement, et c’est un point de vue très subjectif, je dirais que non. Ici, l’organisation du travail est beaucoup plus horizontale, la hiérarchie existe bien entendu, mais l’emphase est mise sur la responsabilité individuelle, donc en tant qu’ingénieur, on dispose de beaucoup plus d’espace pour s’exprimer. Ça signifie aussi qu’on est responsable de ses échecs comme de ses succès.

Quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui rêvent de travailler dans l’industrie du jeu vidéo à l’étranger ?

Votre premier but doit être de rentrer dans cette industrie et d’accumuler de l’expérience, ce n’est qu’après que vous trouverez un moyen de vous diriger vers l’étranger. À titre personnel, c’est ce que j’ai fait en France, puis j’ai émigré vers le Canada afin de continuer à consolider mon C.V. et de me faire un réseau. L’autre solution peut être de terminer ses études aux États-Unis, ça facilitera les choses en termes de visa et vous pourrez essayer de trouver un travail dans la foulée. Et pour finir, dans l’absolu, je recommande aux ingénieurs d’avoir des projets personnels, sur GitHub par exemple. Il m’est arrivé de recruter quelqu’un qui n’avait pas envoyé de C.V., qui avait écrit une lettre de motivation de cinq phrases, mais qui avait ajouté son lien GitHub où son travail parlait de lui-même. Il n’avait pas d’expérience mais il avait du talent et je l’ai embauché chez Respawn.


Merci à Samy Duc d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Apex Legends est disponible gratuitement sur Xbox One & Xbox Series X|S. Pour ne pas manquer nos prochains épisodes de notre série Les Français à l’étranger, restez connectés sur le Xbox Wire en français.