Les portraits du jeu vidéo : entretien exclusif avec Harmonie Freyburger
Nous avons pu échanger avec Harmonie Freyburger, Cheffe de projets RH chez Ubisoft et Vice-présidente de Women in Games France. Dans cet entretien, elle nous en dit plus sur son travail et sur l’importance de la diversité dans le recrutement dans l’industrie du jeu vidéo.
Quelle histoire partagez-vous avec le jeu vidéo ?
Nous avons eu notre première console quand nous étions petites avec mes sœurs, alors que nos parents n’étaient pas forcément favorables aux jeux vidéo. On jouait notamment à Alex Kidd et Aladdin quand j’avais environ 10 ans mais ce n’était pas ma console, puis, au collège, j’avais une amie avec laquelle je jouais à Rayman, à Tekken… Je jouais aussi avec mes cousins, j’avais un rapport assez lointain avec le jeu vidéo, mais dès que j’en avais l’occasion, je jouais. J’ai aussi joué sur navigateur, à Frutiparc, qui était développé par Motion Twin, mais ma vraie première console, je l’ai eue beaucoup plus tard, quand j’ai commencé à travailler chez Ubisoft, il y a quatre ans. J’ai pu ainsi profiter des classiques, parfaire ma culture et bien connaître l’univers dans lequel je travaillais. J’ai notamment joué à Skyrim et bien sûr à plein de titres Ubisoft. Je dis souvent que j’ai encore un œil neuf, j’ai par exemple joué à Skyrim après tout le monde et j’avais encore l’étincelle de la découverte, que celles et ceux qui jouent depuis longtemps n’ont plus.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre travail ?
Au sein de l’équipe Ressources Humaines, l’équipe D&I France (composée de 3 personnes) est experte de l’inclusion en entreprise. Je travaille sur la diversité et l’inclusion ainsi que sur la mission handicap. J’accompagne les personnes en situation de handicap (visible ou invisible) pour qu’elles puissent avoir des bonnes conditions de travail. Si une personne a par exemple des problèmes d’articulations, je vais me rapprocher de prestataires spécialisés pour trouver le matériel ergonomique qui pourra l’aider et provoquer la discussion avec le management afin que le sujet soit pris en compte dans le quotidien.
En quoi la diversité est-elle importante dans le recrutement ?
Dans toute entreprise, même en dehors du jeu vidéo, on a besoin de recruter les personnes les plus compétentes. L’erreur, c’est de chercher la ressemblance, de se dire que l’on veut quelqu’un qui aurait un parcours similaire au sien, quelqu’un qui habite à Paris, etc… Il est important d’ouvrir les critères pour s’assurer de ne pas passer à côté du profil dont on a réellement besoin. C’est aussi pour cette raison que nous avons monté la mission handicap, parce que si l’on n’arrive pas à proposer des conditions de travail adaptées, à former les managers sur le handicap, à proposer du télétravail, on se prive de ces personnes qui peuvent apporter énormément à l’entreprise. Plusieurs études montrent que les entreprises les plus performantes sont celles qui ont dans leurs équipes des personnes d’origine, d’éducation, de genres différents. Les points de vue, les expériences se multiplient et on obtient des équipes ayant plus d’idées, acceptant des idées plus originales, et en définitive en capacité de créer des produits plus en phase avec le marché.
Comment ce constat s’applique-t-il à l’industrie du jeu vidéo ?
Pour pouvoir créer des jeux qui s’adressent à tout le monde, il faut que dans les équipes des personnes puissent s’exprimer sur les personnages, et s’éloigner des stéréotypes. Par exemple, les personnages afro ou LGBT, quand il y en a, peuvent être très clichés, les femmes peuvent être hypersexualisées ou afficher des mensurations loin d’être réalistes…Lorsque dans une équipe, on a des personnes d’horizons différents, elles peuvent sonner l’alerte lorsque le stéréotype dessert le propos du jeu. On dit souvent que quand une minorité correspond à moins de 30 % d’une équipe, ces personnes ne vont pas se sentir incluses et pouvoir porter leurs idées, quand on dépasse ce pourcentage, il est plus facile de s’exprimer et de discuter pour avancer ensemble.
Quels conseils donneriez-vous à celles et ceux ayant peur de parler de leur situation de handicap dans le cadre professionnel ?
Il faut se dire que l’on maîtrise l’information, que l’on reste libre de choisir à qui, quand et comment en parler. Et on n’a pas besoin de tout dire, ce qui est important, c’est de comprendre ensemble quelles sont les implications au travail. En ce qui concerne le handicap par exemple, je n’ai pas besoin de connaître les détails médicaux de la condition d’un ou d’une employé·e, seulement de savoir en quoi cette condition va avoir un impact sur son quotidien et son travail, pour mieux l’accompagner. Il y’a plein de petites choses que l’on peut mettre en place pour prendre en compte le handicap dans le quotidien de travail, sans forcément bousculer le fonctionne ment de toute l’équipe. C’est mon rôle d’identifier ces aménagements et de les mettre en place.
Et que diriez-vous à celles et ceux en situation de handicap ou appartenant à une minorité, hésitant à chercher un emploi dans le domaine du jeu vidéo ?
On peut suivre les entreprises qui nous intéressent sur les réseaux sociaux parce que celles qui sont engagées dans la cause de la diversité communiquent dans ce sens. Qu’il s’agisse du handicap, de l’identité de genre, regardez sur les sites des entreprises si l’on y parle de formations, de mission handicap, de groupes de discussion internes. Ça peut être rassurant lorsque l’on souhaite postuler, permettre de se dire que l’on peut parler de sa différence dès le début. Certaines dates sont également importantes comme la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées et le Duoday, qui ont lieu en novembre, la Journée internationale des droits des femmes le 8 mars, ou le Pride Month en juin.
Percevez-vous une évolution du regard porté sur l’importance de la diversité dans le milieu du jeu vidéo ?
L’ensemble de l’industrie prend aujourd’hui vraiment à cœur ces sujets-là, je le vois dans le cadre de Women in Games France, de nombreuses entreprises viennent nous demander des conseils, des écoles qui souhaitent intégrer plus d’étudiantes nous consultent également… Ces dernières années, la dynamique est réellement positive, si l’on est en ce moment en train d’étudier avec l’objectif de travailler dans le jeu vidéo, je pense que l’on peut être rassuré·e et se dire qu’au moment d’intégrer un studio, l’environnement sera sain grâce à tout le travail qui est en train d’être fait.
Merci à Harmonie Freyburger d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.
Ce mercredi 22 juin à 18h, Microsoft et Women in Games France tiendront une discussion sur l’inclusion de la femme dans l’industrie du jeu vidéo ; cette table ronde pourra être suivie en direct sur la chaîne Twitch de Xbox France. Vous pouvez également lire l’étude publiée par Xbox et CSA sur le rapport des femmes à l’industrie du jeu vidéo.