Les Français à l’étranger : entretien exclusif avec Melaine Brou, Product Marketing Manager chez SEGA Japon
Nous échangeons régulièrement avec ces Français·e·s ayant décidé de travailler dans l’industrie du jeu vidéo, et dont les parcours les ont menés à l’étranger. Cette série d’articles exclusifs à découvrir sur le Xbox Wire en français se poursuit avec la rencontre de Melaine Brou, Product Marketing Manager chez SEGA Japon. C’est le parcours éclectique de Melaine qui nous a poussés à le contacter, puisqu’avant d’arriver chez SEGA, il avait déjà connu mille vies, sur lesquelles il est revenu lors de cette conversation.
Quelle histoire partagez-vous avec le jeu vidéo ?
Mes premiers souvenirs remontent à Kid Icarus, sur NES, j’y jouais chez mon oncle… Mais la première console que j’ai possédée, c’était la Game Boy. Ma famille étant très portée sur l’univers de Nintendo, j’ai ensuite connu toutes les consoles de ce constructeur, jusqu’à la GameCube, puis j’ai oscillé entre Playstation et Xbox. J’ai particulièrement joué sur Xbox 360, l’un de mes meilleurs souvenirs reste Fallout 3 : la sortie du bunker et la découverte de ce monde, ça m’a vraiment marqué.
Quand est-ce que cette passion s’est transformée en aspiration professionnelle ?
Je voyais le jeu vidéo uniquement comme un hobby quand j’étais jeune, je ne l’envisageais pas comme un potentiel avenir professionnel. À l’époque, j’étais aussi passionné d’archéologie et de cinéma, j’ai fait des études d’Histoire de l’art dans ce sens et quand je me suis rendu compte que ça ne me mènerait pas à ce à quoi j’aspirais, je me suis orienté vers les langues : le chinois, le coréen et le japonais. Et ce sont ces études qui m’ont permis de faire mes premiers pas dans le monde du journalisme.
C’est à ce moment-là que le jeu vidéo a fait irruption dans votre carrière ?
J’étais journaliste freelance et parmi les tâches qui m’étaient confiées, j’ai dû écrire des guides pour des jeux vidéo : j’ai fait ça pendant environ un an et c’est cette expérience qui m’a aidé à entrer dans l’industrie. Ma femme et moi vivions en Thaïlande, puis nous avons déménagé en Angleterre. J’y faisais de la traduction pour un site d’hôtels et un chasseur de têtes m’a approché pour travailler chez Konami. Ils cherchaient un community manager parlant français pour Pro Evolution Soccer, mon expérience de la traduction et de l’écriture autour du jeu vidéo m’ont permis d’obtenir le poste. Par la suite, j’ai pu évoluer en interne pour travailler sur des licences comme Silent Hill et Metal Gear Solid, et j’ai même eu la chance de faire un peu de marketing pour la sortie de Metal Gear Solid V. Après quatre ans chez Konami, j’ai travaillé pour 2K, toujours en tant que community manager, pour Civilization, Bioshock et Borderlands notamment.
Quand vous êtes-vous véritablement tourné vers la partie marketing de l’industrie ?
Un jour j’ai vu une annonce de SEGA à Londres, qui cherchait un Product Marketing Manager et j’ai tenté ma chance. J’ai passé l’entretien et j’ai obtenu le poste. Travailler dans le marketing, ça m’a permis de monter en grade, d’avoir plus de responsabilités et de profiter d’un aspect créatif plus satisfaisant, avec plus de contrôle sur le produit, le message et les campagnes, pour des licences comme Yakuza et Persona.
Qu’est-ce qui a motivé votre départ pour le Japon ?
La crise du COVID et le Brexit ! Ma femme étant Japonaise, nous nous sommes décidés à quitter l’Angleterre pour rejoindre le Japon. Grâce à mes contacts, j’ai pu trouver un poste au sein de SEGA Japon. J’y avais déjà habité pendant quatre ans, entre 2006 et 2010, et j’avais envie d’y retourner depuis longtemps. Et puis nous nous sommes rapprochés de la famille de ma femme, finalement, en Angleterre, nous étions un peu isolés.
Quel poste occupez-vous aujourd’hui chez SEGA Japon ?
Je suis Product Marketing Manager. Depuis que je suis arrivé, je travaille sur un titre mobile, qui est aussi sorti en occident : HATSUNE MIKU: COLORFUL STAGE!. Je gère la stratégie et la sortie du jeu en occident, je dois cerner à qui il s’adresse et peaufiner tous les messages pour faire en sorte que les différentes audiences que l’on cible soient les plus réceptives possibles. Je dois aussi m’occuper de tous les aspects créatifs, travailler avec les agences sur les trailers, les éléments partagés sur les réseaux sociaux, collaborer avec les community managers pour s’assurer que l’on ait suffisamment de contenu autour du jeu, gérer les budgets et les assigner à la publicité, à la création ou aux différents événements, comme l’Anime Expo ou la Japan Expo. Le marketing englobe énormément de choses. Récemment, je me suis progressivement éloigné d’Hatsune Miku pour me concentrer sur les titres du Ryu Ga Gotoku Studio, les développeurs de Yakuza et aujourd’hui de Like a Dragon. Ces six derniers mois, j’ai travaillé avec les équipes américaines et européennes pour préparer la sortie de Like a Dragon: Ishin!.
Quelle différence majeure avez-vous constaté dans la manière de travailler au Japon par rapport à l’occident dans votre métier ?
Au Japon, pour que quelque chose se mette en place, il faut que l’on soit convaincu de son efficacité. Par exemple, si je présente une idée, il faut que je montre que quelqu’un l’a fait auparavant, que l’idée a déjà fonctionné, que je précise quels étaient les aspects positifs et négatifs. Il faut que je puisse donner des garanties sur l’intérêt d’un investissement, des données sûres qui nous assureront que les retombées seront bénéfiques pour le produit. En occident, j’ai l’impression que l’on a plus de place pour l’expérimentation, on va même à l’inverse avoir tendance à aller chercher des idées inédites pour différencier une campagne de celles de nos concurrents. On a parfois plus de liberté quand il s’agit de trouver de nouvelles idées pour promouvoir les jeux.
Quel regard portent les entreprises japonaises sur les employés étrangers ?
Les entreprises japonaises se sont ouvertes aux travailleurs étrangers, certaines vont jusqu’à faire de l’anglais la langue principale pour communiquer dans le cadre du travail. Évidemment, il reste la barrière de la langue, le japonais n’est ni facile à apprendre ni à maîtriser. Personnellement, je dirais que mon niveau est encore moyen, je peux avoir une conversation, mais je n’ai pas encore les capacités pour faire une présentation entièrement en japonais par exemple. Le bon côté, c’est que je conserve une image d’étranger et que ça me retire une certaine pression, on me laisse plus de flexibilité dans ma manière de travailler. La langue japonaise est très codifiée, selon l’âge, la hiérarchie et bien d’autres facteurs. Le fait que mon japonais ne soit pas parfait m’autorise une approche plus détendue, plus amicale, je pense que si j’étais japonais ou si je maîtrisais la langue à la perfection, de telles relations seraient impossibles.
Quels conseils donneriez-vous à celles et ceux souhaitant travailler dans l’industrie, au Japon ou dans l’absolu ?
Au-delà de l’importance de l’apprentissage de la langue, qui est vraiment rigoureux et nécessaire lorsque l’on parle du Japon, je pense qu’il faut cultiver sa passion du jeu vidéo, c’est valable partout. Dans le monde du marketing et du community management, la moitié du travail, c’est la connaissance de l’industrie et de la communauté. Il faut jouer, bien sûr, mais aussi s’intéresser aux jeux vidéo dans leur ensemble, à la manière dont ils sont développés, comprendre ce qui marche, pourquoi ça marche et pouvoir communiquer de manière éloquente quand on aborde ces sujets.
Merci à Melaine Brou d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Pour ne pas manquer les prochains articles de la série Les Français à l’étranger, restez connectés sur le Xbox Wire en français.