Le jeu du tiroir : Psychonauts

Depuis juin dernier, Double Fine Productions, le studio créé par le génial Tim Schafer, créateur d’œuvres toujours singulières, a rejoint la liste des Xbox Game Studios, portant le total à 15. Et parmi ces œuvres, Psychonauts tient une place à part, puisqu’il s’agit de la toute première création du studio, née il y a 15 ans déjà. L’équipe étant actuellement concentrée sur la création du deuxième opus de Psychonauts, il semblait nécessaire de s’arrêter sur son aîné, un titre déjà unique à l’époque et qui le reste aujourd’hui.

2005, le monde du jeu vidéo découvre Psychonauts. Si le nom de Tim Schafer suffisait déjà à faire rêver les connaisseurs, sûrement fans de l’écriture barrée de The Secret of Monkey Island ou de l’univers à part de Grim Fandango, pour les autres, Psychonauts pouvait avoir l’air d’un simple jeu de plateformes un peu fantasque. Il suffit pourtant de décortiquer le titre : un psychonaute, c’est bel et bien celui qui voyage dans l’esprit et dès lors que l’on accepte ce postulat de base, il est aisé de comprendre le type de folies qui nous attendent à l’écran.

Emprise de tête(s)

Le jeune Raz se retrouve dans un camp d’été pas comme les autres. On n’y apprend ni chanson traditionnelle ni l’art de reconnaître les champignons, mais plutôt la télékinésie, la pyrokinésie et autres joyeusetés. Un programme qui d’apparence semble fort réjouissant mais dont l’horizon s’assombrit lorsqu’il découvre que ses camarades se font tour à tour… voler leurs cerveaux.

Sans trop dévoiler ce qui attend le joueur ou la joueuse dans la suite des événements du titre, il suffit d’évoquer qu’il vous faudra passer par un asile psychiatrique pour mieux imaginer l’étendue des univers s’offrant à nous… l’étendue, mais aussi l’étrangeté ! Raz devra explorer des esprits torturés et y fera des rencontres mémorables et des découvertes inattendues, pour notre plus grand plaisir.

L’odyssée des cerveaux

Si Psychonauts se veut avant tout orienté plateforme, il ne cache jamais l’héritage de ses géniteurs et propose une écriture souvent absurde, toujours drôle et dont on a trop peu l’occasion de profiter dans l’industrie en général. Et cette absurdité, cette différence, le titre l’exploite bien évidemment dans son gameplay, qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus du genre pour nous offrir des phases pour le moins… alternatives lors du périple de notre héros.

Lorsqu’il doit par exemple pénétrer dans la psyché d’un patient se prenant pour Napoléon Bonaparte, Raz se voit contraint d’oublier la plateforme un instant pour se consacrer à la stratégie… Oui, l’idée de départ du titre permet bien toutes les fantaisies imaginables et il va sans dire que l’équipe de Double Fine a de la ressource en la matière.

Visiter les esprits de personnages atteints de troubles obsessionnels compulsifs, de schizophrénie et autres psychoses pourrait s’avérer effrayant, mais il n’en est rien. A l’interprétation grave et mature de ces pathologies présentes dans les créations de Ninja Theory, un autre Xbox Game Studios, le titre préfère inventer autant de prétextes à une variété des environnements, des gameplays, qui, en puissance, devient sans limite.

Tim Schafer, Founder & President of Double Fine Productions

Éducation psychique

Le monde « réel » que Psychonauts nous invite à découvrir semble déjà issu d’un dessin animé, mais possède néanmoins suffisamment d’éléments communs à notre monde pour qu’il en prenne une dimension surréaliste. Le contraste ressenti lors la visite des mondes intérieurs situés dans l’esprit des différents protagonistes n’en est que décuplé. Le jeu s’invente alors des palettes de couleurs radicales, des constructions de niveaux psychédéliques et des discours où la cohérence n’a plus d’emprise… et le tout semble pourtant rempli de sens, car il n’en oublie pas d’être homogène.

À travers les yeux de Raz, on ne peut s’empêcher de ressentir une réelle empathie pour ces âmes perdues en explorant leur for intérieur. Oui, Psychonauts nous questionne, laisse çà et là nombre d’indices souvent cryptiques qui nous poussent à nous interroger sur le passé de ces étranges individus et permet même de nous voir à travers les yeux de ces derniers, rappelant par la même occasion que toute chose est subjective, que chacun voit son monde, mais aussi celui d’autrui, à travers un prisme différent. Non, décidément, Psychonauts n’est pas un « simple » jeu de plateforme, il représente en fait le plaidoyer qui prouve que le genre peut être doué d’une intelligence rare et que l’humour se transforme parfois en piste de réflexion.

Alors que le titre vient de fêter son quinzième anniversaire, il reste difficile de lui trouver un équivalent. Psychonauts a continué à cultiver sa différence et pour les raisons évoquées plus haut, on ne peut que se montrer impatient de découvrir ce que nous réserve sa suite…